
La brique forraine
Cité épiscopale d’Albi
La profusion naturelle d’argile dans le bassin du Tarn et de la Garonne a fait de la mise en oeuvre de la brique un langage commun aux cités languedociennes qui s’étalent au long des vallées.
Au nord-ouest de la région, ce sont Montauban, Toulouse et ses alentours qui ont adopté la construction en brique. Selon la cuisson, la teinte de la brique varie : assez claire dans la région de Salvagnac,elle est presque fuchsia autour de Lavaur, Gaillac et Giroussens et devient rouge à Albi et Rabastens.
Depuis le clocher de la cathédrale d’Albi, les maisons recouvertes de tuiles canal offrent un spectacle d’épidermes authentiques. La Cité épiscopale d’Albi présente un ensemble exceptionnellement cohérent composé de façades aux parements de brique parfois enduite à la chaux. L’usage de la brique à Albi tient aux conditions géologiques locales, et à la rareté des carrières de pierre.
À l’époque romane, pourtant, on construisait en pierre à Albi, comme en témoigne la base du clocher nord et les murs latéraux de Saint-Salvi, par lesquels a commencé l’édification de la collégiale.
Les carrières de proximité rapidement épuisées, les coûts engendrés par les transports pour les gisements plus éloignés, et les difficultés de tous ordres liées à la guerre de Cent Ans et à la crise de la société féodale expliquent l’abandon précoce de la pierre dès la fin du XIIe siècle.
À la suite des guerres, on avait besoin de construire très vite avec des matériaux disponibles et peu chers. L’art de construire en brique est donc avant tout le résultat de la recherche d’un dispositif ingénieux de construction rapide, solide et économique, qui offrait des commodités de stockage et de manutention sur le chantier.
Le plus rapide pour la construction était le pan de bois : on montait très vite la structure en bois que l’on remplissait de briques. L’argile était foulée et malaxée aux pieds ou à la main. Après être devenue homogène, elle était moulée dans des cadres de bois, lissée à la main, puis séchée pendant plusieurs semaines avant la cuisson.
Certaines briques portent d’ailleurs encore des traces de doigts dues à leur préhension avant le passage au four. Ceux-ci étant de grandes constructions, la cuisson des briques n’était pas homogène, ce qui explique que l’on rencontre des palettes de ton rouge clair, rosé, beige-rosé, jusqu’au noir pour les briques les plus cuites. Il était essentiel de savoir bien répartir les briques de qualité différente pour s’assurer de la bonne cohésion des éléments structurels ; ainsi, les meilleures briques étaient-elles réservées pour les appareillages de façade et les ornements.
La brique est aussi un matériau très esthétique qui engendre des variations chromatiques selon la lumière et les saisons. On trouve à Albi l’emploi d’un module particulier que l’on nomme « brique foraine ». Ces termes proviendraient du fait que la brique était cuite dans un four, et de meilleure qualité par opposition aux briques crues, ou bien du fait qu’on la vendait essentiellement dans les foires.
La brique foraine répond à un module harmonieux, facilement manipulable (de 8 à 9 kg), de plus, ses dimensions moyennes (5,5 x 22 x 37 cm) en font un module approchant du nombre d’or (environ 1,618) correspondant à une recherche d’équilibre des proportions. La brique foraine avait une surface de portance très importante, qui permettait de monter des maçonneries complètes en se passant de tout élément de chaînage en pierre.
L’usage de la brique était lié à l’esprit du gothique mettant en valeur la pensée technique et la structure. L’architecture gothique était une recherche dans la décomposition des différentes fonctions techniques, donnant à voir les éléments porteurs : arcs, piliers, murs.
Dans les édifices religieux, le triomphe de la brique se justifie pleinement car il va de pair avec le dépouillement et la simplicité des formes et des volumes. La cathédrale Sainte- Cécile est ainsi la démonstration exemplaire de l’art de bâtir en brique.
La technique des joints
Le colombage était aussi une manière de découper la structure entre les éléments porteurs et le remplissage. La qualité des parements médiévaux a permis de conserver un épiderme de matériaux apparents avec un rejointoiement qui était approprié à l’étanchéité nécessaire. Les mortiers de cette époque étaient en général de bonne qualité. Le mélange de matériaux solides, tels que graviers, sable, cailloux du Tarn et chaux aérienne additionnée d’eau permettait de régulariser l’épaisseur des joints et de contrôler les tassements, dus aux charges progressives que supportait le bâtiment.
Au fil des siècles, le jointoiement lui-même devint un élément de décor creusé ou mis en relief selon l’effet recherché. De cette manière, à la période médiévale on utilisait des jointoiements serrés au plat de la truelle formant un chanfrein ; ils apportaient une certaine finition visuelle et une meilleure portance au bâtiment.
À la Renaissance en revanche, on trouve une technique de jointoiement en relief particulièrement élaborée. Elle témoigne du soin accordé au montage des murs de brique et produit un effet visuel des plus décoratifs selon l’inclinaison de la lumière. L’emploi de la brique seule ne permettait évidemment pas d’offrir de riches éléments sculptés ; le recours au grès et au calcaire s’est donc naturellement imposé pour souligner les temps forts d’architectures telles que les chaînages d’angles, les linteaux, les remplages des baies, les cordons d’appui…
Les enduits et badigeons
À la brique apparente du Moyen Âge ont succédé des enduits ayant vocation à protéger la maçonnerie des intempéries, et aussi parfois à constituer un parement à caractère décoratif.
C’est surtout le XVIIIe siècle qui a mis en avant l’art des enduits et des badigeons à la chaux.
La rue Mariès témoigne de cette évolution ; elle présente des façades maçonnées avec des briques foraines de second choix, qui étaient jadis masquées par les enduits, tandis que les briques de meilleure qualité restaient apparentes aux chaînages d’angles ou aux encadrements de fenêtres, donnant l’illusion d’une maçonnerie de grande qualité.
Le XIXe siècle a redonné à la brique sa fonction décorative en harmonie avec des jointoiements, qui sont souvent constitués d’un mortier fin de ton rosé, avec badigeonnage très léger à l’eau de chaux colorée à la poudre de brique.
De nos jours, le choix de restauration et la sensibilité de notre époque tendent à privilégier la conservation de la brique apparente, en harmonie avec le maintien d’une mise en œuvre des enduits talochés traditionnels formant des nuances harmonieuses et équilibrées caractéristiques du paysage de la Cité épiscopale.